Le signe “adopte un mec” est une marque notoire selon l’INPI : analyse de la décision rendue par l’INPI le 31 janvier 2023 vis-à-vis du nom « adopte une doll »

Le 17 mars 2022, la société GEB ADOPTAGUY a présenté une demande en nullité contre la marque “Adopte une doll” déposée le 15 mars 2018.

La demande en nullité a été formée à l’encontre de l’ensemble des produits et services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, à savoir les classes 10 (Accessoires sexuels pour adultes ; Jouets sexuels ; Poupées érotiques) et 35 (Services de vente au détail concernant les accessoires sexuels).

Pour solliciter la nullité, le demandeur se fonde sur une atteinte à la renommée de la marque française “Adopte un mec”, déposée le 2 décembre 2013 sous le n°13 / 4051417.

I. L’appréciation de la renommée de la marque “Adopte un mec”

La société ADOPTAGUY a communiqué de nombreuses pièces pour tenter d’établir la renommée de la marque “Adopte un mec”, par exemple des articles de presse de 2012 à 2017, des campagnes d’affichage publicitaire de 2017 et 2018, des sondages de 2016, 2017 et 2020

Afin de contrer les nombreuses et solides preuves apportées par le demandeur, la partie adverse a dans un premier temps soulevé le fait que la marque n’était pas utilisée telle que déposée (i), que certains des documents fournis étaient datés de plus de 5 ans avant la date de dépôt de la marque contestée, et d’autres  étaient postérieurs à cette date (ii) et a reproché, dans un second temps, au demandeur de ne pas démontrer « que la marque invoquée était connue d’une partie significative du public au jour du dépôt de la marque contestée, soit au moins 50% du grand public » (iii).

En l’espèce, la marque contestée a été déposée le 15 mars 2018. Le demandeur devait donc démontrer que sa marque ADOPTE UN MEC avait acquis une renommée en France avant cette date, pour les services pour lesquels la renommée est invoquée, à savoir « clubs de rencontre sur Internet et réseaux de téléphonie mobile ; organisation de rencontres entre personnes physiques (à but social), à savoir services de clubs de rencontres ; mise en relation d’individus (à but social), à savoir services de clubs de rencontres ».

(i) Concernant le premier argument, le défendeur a tenté de prétendre que les services n’étaient jamais invoqués par la marque prise isolément car le signe était très souvent utilisé avec un pictogramme et dans sa version « adresse web ». L’INPI rejette cet argument en indiquant que l’élément le plus distinctif de la marque est l’expression « adopte un mec », et que les autres éléments ne sont qu’accessoires. Il indique en effet que « l’ajout d’un pictogramme représentant une femme poussant un chariot dans lequel tombe un homme et de l’ajout de la séquence finale « .com » désignant l’extension du nom de domaine sur Internet » n’affecte pas le caractère distinctif des termes ADOPTE UN MEC en ce qu’il n’empêche pas le public pertinent de percevoir les services en cause comme ayant la même origine commerciale

(ii) Concernant le deuxième argument, l’INPI rappelle que les documents portant une date postérieure à la date de dépôt de la marque contestée ne sont pas privés de valeur probante s’ils permettent de tirer des conclusions sur la situation telle qu’elle se présentait à cette même date. Compte tenu du fait que la renommée d’une marque s’acquiert progressivement, un document établi un certain temps avant ou après cette date peut contenir des indications utiles pour apprécier la renommée de la marque. En tout état de cause, de nombreux documents entrant dans la période requise avaient été communiqués.

(iii) Enfin, l’INPI a dû examiner si les pièces fournies par le demandeur, appréciées globalement, établissaient que le signe ADOPTE UN MEC était connu d’une partie significative du public. Sur ce point, l’INPI a rappelé qu’il convient de prendre en considération tous les éléments pertinents en cause sans qu’il soit exigé que la marque soit connue d’un pourcentage déterminé du public ainsi défini ou que sa renommée s’étende à la totalité du territoire concerné, dès lors que la renommée existe dans une partie substantielle de celui-ci[1].

Selon l’INPI, les nombreux articles parus dans différents médias et sites internet évoquant les campagnes publicitaires menées par le demandeur (classement des 100 mecs à adopter, boutique éphémère, publicité géante aux abords du périphérique de Paris) « montrent que cette dernière jouit d’un degré élevé de reconnaissance au sein du public pertinent ».  S’agissant de l’intensité de l’usage de la marque invoquée, les références dans la presse au succès de la marque et aux récompenses remportées indiquent que « la marque occupe une position solide parmi les leaders du marché. »

L’INPI a dès lors reconnu que la marque semi-figurative antérieure ADOPTE UN MEC avait bien acquis au jour du dépôt de la marque contestée (2018) une grande renommée au regard du public pertinent et sur l’ensemble du territoire français pour les services précités.

II. La reconnaissance du caractère distinctif du signe “adopte un” associé à un terme désignant objet

Cette décision de l’INPI laisse penser que la société GEB ADOPTAGUY a désormais un droit de contestation pour toute marque commençant par « Adopte ».

Il est certain qu’il existe une ressemblance visuelle et phonétique entre les deux signes puisqu’ils sont composés d’une expression de trois termes dont les deux premiers sont très proches (ADOPTE UNE/UN) et dont le dernier est constitué d’une syllabe unique (DOLL / MEC).

Aussi, les signes consistent en une expression associant le verbe adopter, conjugué à la deuxième personne du singulier de l’impératif (ADOPTE), à un objet de cette action. De ce fait, les deux signes ont une évocation commune, à savoir l’action d’adopter quelqu’un ou quelque chose, leur conférant ainsi une ressemblance intellectuelle.

Plus encore, l’association du terme adoption à une personne ou un objet a été considérée comme pourvu d’un caractère distinctif au regard des produits et services en présence.En effet, la marque antérieure ADOPTE UN MEC apparaît comme une construction inhabituelle à partir du verbe adopter à la 2e personne du singulier de l’impératif et du terme MEC, et dont il n’est pas établi qu’elle soit la désignation nécessaire, générique ou usuelle des services en cause ou qu’il serve à en désigner une caractéristique.

Le fait que les signes antérieurs « adopte a furby », « adopte un arbre », « adopte un poêle, « adopte une ruche » existent n’est pas suffisant à démontrer le caractère usuel de cette association à titre de marque. L’INPI ajoute que rien ne permet d’affirmer que ces utilisations coexistent paisiblement avec la marque antérieure.

III. La démonstration de l’atteinte à la renommée de la marque antérieure

Afin de déterminer si l’utilisation de la marque contestée risque de porter préjudice au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure, ou d’en tirer un profit indu, il convient d’analyser si un lien entre les signes sera établi dans l’esprit du public concerné.

  1. Sur le lien entre les signes dans l’esprit du public

Les critères pertinents sont notamment le degré de similitude entre les signes, la nature des produits et des services ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l’usage de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.

En l’espèce, comme mentionné précédemment, le degré de similitude entre les signes, l’intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif ont été reconnus. Concernant la nature des produits et des services ainsi que le public concerné, il a été relevé qu’ils « ont pour objectif de faire des rencontres et en particulier un partenaire amoureux » et que « les produits et services de la marque contestée ont pour finalité quant à eux de se substituer à ce partenaire amoureux », « en particulier, les « poupées érotiques [poupées sexuelles] qui ont une apparence humaine ».

Par conséquent, compte tenu de la proximité des signes, du caractère intrinsèquement distinctif et de la grande renommée de la marque antérieure, lorsqu’ils rencontreront la marque contestée en relation avec les produits et services précités, les consommateurs concernés pourront faire un lien avec la marque antérieure.

Cependant, l’existence d’un lien entre les marques ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve d’une atteinte effective et actuelle à sa marque ou d’un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur[2].

2. Sur le risque de profit indu

La notion de profit indu désigne le risque que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits et services désignés par la marque contestée, de sorte que leur commercialisation serait facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée.

En l’espèce, les documents amenés par le demandeur évoquant le classement de la marque et son succès dans le domaine des services de rencontres en ligne reflètent notamment l’image d’une marque occupant une place prépondérante sur ce marché, investissant pour gagner des parts de marché et gagner en visibilité. La marque antérieure détient dès lors un pouvoir d’attraction et une bonne réputation à l’égard de ses produits et services, qualités dont pourrait bénéficier la marque contestée.

Ainsi, en raison de la renommée de la marque antérieure pour des services de rencontre en ligne au regard des « clubs de rencontre sur Internet et réseaux de téléphonie mobile ; organisation de rencontres entre personnes physiques (à but social), à savoir services de clubs de rencontres ; mise en relation d’individus (à but social), à savoir services de clubs de rencontres », du caractère distinctif intrinsèque de la marque invoquée, des grandes similitudes entre les signes et de l’image positive que dégage la marque antérieure, susceptible de s’appliquer aux produits et services visés, il existe un risque que les consommateurs établissent un lien entre les marques en cause et projettent les caractéristiques de la marque antérieure sur la marque contestée.

Dès lors, ce transfert de l’image positive de la marque antérieure pourrait faciliter la mise sur le marché des produits et services de la marque contestée, réduisant ainsi la nécessité d’investir dans la publicité, et permettrait alors au titulaire de la marque contestée de bénéficier, sans contrepartie, des efforts commerciaux déployés par le demandeur pour créer et entretenir cette image et diversifier ses activités. Par conséquent, il apparait que la marque contestée est susceptible de tirer indument profit de la renommée de la marque antérieure.

C’est dans ce contexte que l’INPI a décidé, sur le fondement de l’atteinte à la renommée de la marque antérieure ADOPTE UN MEC, que la marque contestée ADOPTE UNE DOLL devait être déclarée totalement nulle pour tous les produits et services désignés dans son enregistrement.

Charlotte GALICHET

Dina HENTATI


[1] CJCE, arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C375/97

[2] C-252/07 Intel, 27 novembre 2008.

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