Les sociétés EPSE et SIDJ (ci-après JouéClub) avaient missionné la société BEING pour créer un packaging original pour les jouets distribués sous une de leurs marques (« CAP LOISIRS »), notamment le packaging du jouet « LA TOUR INFERNALE GEANTE » distribué par JouéClub depuis 2014.
En décembre 2017, Jouéclub signalait avoir découvert que la société FUTURA FINANCES, qui fournit les magasins NOZ, utilisait le packaging de leur jouet « LA TOUR INFERNALE GEANTE » sur une version plus petite du jeu dénommée « ORZANNE-LA TOUR INFERNALE ». Des opérations de saisie-contrefaçon ont été réalisées au sein de la société FUTURA FINANCES.
Estimant que la société FUTURA FINANCES avait commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur et de concurrence déloyale en reproduisant les caractéristiques essentielles et originales du packaging du jouet LA TOUR INFERNALE GEANTE, JouéClub l’a donc assignée devant le Tribunal de grande instance de Rennes le 2 février 2018.
Le 2 juillet 2021, la société FUTURA FINANCES a été condamnée pour avoir commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur du conditionnement du jouet LA TOUR INFERNALE GEANTE commercialisé par JouéClub, et pour des actes de concurrence déloyale. La société FUTURA FINANCES a interjeté appel, mais la Cour d’appel de Rennes a confirmé presque en tous points la décision du TGI par un arrêt du 23 janvier 2024. La Cour confirme la titularité des droits d’auteur de la société SIDJ sur le packaging du jeu LA TOUR INFERNALE GEANTE, ainsi que l’éligibilité de l’emballage à la protection du droit d’auteur et la pertinence de ses actions en contrefaçon et concurrence déloyale. Il est également intéressant de noter que chaque société du Groupe a agi sur un fondement différent : la contrefaçon pour SIDJ et la concurrence déloyale pour EPSE.
- La titularité des droits
La société FUTURA FINANCES invoquait l’absence de lien établi entre le devis de la société BEING, la facture émise et le packaging, dans la mesure où les documents ne portaient pas spécifiquement sur le packaging du produit LA TOUR INFERNALE GEANTE, mais sur des chartes graphiques et des « structures packaging ».
Selon les dispositions de l’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle : « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».
En l’espèce, le packaging de la TOUR INFERNALE GEANTE était né des travaux effectués par la société BEING, faisant effectivement l’objet d’un devis et à l’issue duquel plusieurs factures avaient été émises. La chaîne de dévolution des droits d’auteur a dû être démontrée au regard du nombre important de sociétés impliquées et de l’absence de clause ou de contrat de cession de droits. Néanmoins, le devis comportait des conditions générales prévoyant bien que le paiement des prestations entrainait la cession gracieuse des droits d’utilisation des créations, de sorte que SIDJ était bien recevable à agir.
Par ailleurs, la Cour confirme que les actes d’exploitation non équivoques, et sans revendication de la société BEING, tels que la reproduction de produits dans des catalogues JouéClub ou la facturation par SIDJ de la vente du jouet la TOUR INFERNALE GEANTE à des adhérents de la coopérative JouéClub sont des actes d’exploitation suffisants.
2. L’originalité
La question se posait de savoir si un simple emballage pouvait constituer un « modèle original relevant d’un véritable effort créateur ».
Selon l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».
La Cour d’appel de Rennes estime que « le conditionnement d’un produit peut parfaitement être qualifié d’œuvre, au sens des dispositions susvisées, dès l’instant qu’il porte l’empreinte personnelle de son auteur ». Selon elle, le caractère propre ainsi que les choix arbitraires de l’auteur qui permettent de distinguer le jouet dans sa boîte d’un autre jouet similaire, sont établis.
Elle insiste sur la combinaison des couleurs, des personnages, des lignes et encadrés, des positionnements.
Dès lors, la Cour reconnaît que même si « chaque élément de la boîte pris isolément ne reflète pas un pouvoir créatif immense, leur agencement et le choix des couleurs constituent des combinaisons graphiques uniques ».
La Cour d’Appel de Rennes ajoute : « L’impression visuelle d’ensemble de ce jeu banal, le distingue cependant des autres jouets similaires, ce que montrent bien les pièces aux débats. Les boites des autres jouets sont bien différentes, ce qui permet de conférer au packaging la TOUR INFERNALE GEANTE son caractère distinctif de produits approchants ou identiques.»
La Cour reconnaît donc que le packaging du jeu « révèle d’un effort de création et une recherche intellectuelle particulière », lui accordant la protection par le droit d’auteur.
3. La contrefaçon
Selon l’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. ».
La Cour déclare que la boîte vendue dans les magasins NOZ constitue une copie « quasi servile » de celle commercialisée par le groupe Jouéclub, celle-ci reprenant les éléments du packaging à savoir le visuel du jeu, les couleurs, l’agencement des formes et motifs décoratifs. Elle ajoute que le simple fait que le format du jeu soit différent, (celui commercialisé par NOZ étant plus petit), n’est de tout évidence pas un argument suffisant puisqu’au contraire, les consommateurs pourraient croire à une déclinaison du produit original. Le fait qu’elle ne soit pas le fabricant ne peut l’exonérer davantage. Les juges en concluent donc que cette reproduction illicite constitue un acte de contrefaçon.
Par ailleurs, la Cour estime que la société était tout à fait en mesure de contrôler l’origine de ses achats, « en provenance notamment de pays identifiés pour leurs pratiques contrefaisantes ». En l’espèce, le fabricant du jeu contrefaisant se trouvait en Chine. La Cour d’appel de Rennes rappelle le devoir incombant aux sociétés de se renseigner et se sensibiliser aux questions de contrefaçons, d’autant plus lorsque leurs fournisseurs sont dans des pays « identifiés » comme ayant recours à ces pratiques.
De plus, bien que la contrefaçon ne porte que sur la boîte, c’est bien le packaging de cette boîte qui permet de vendre et promouvoir le jeu, donnant à ce dernier une valeur intrinsèque, et renforçant la théorie du juge du fond selon laquelle il s’agit également d’un acte de concurrence déloyale.
4. Les actes de concurrence déloyale
Les sociétés intimées avançaient que « les faits de contrefaçon précités sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société EPSE », aux motifs que, la société EPSE percevant une redevance sur le volume des boîtes vendues, la présence de boîtes contrefaites sur le marché affecte directement ce volume.
De son côté, la société FUTURA FINANCES soutenait qu’il n’existait aucun risque de confusion en ce que sa clientèle était différente de celle du groupe JouéClub, l’enseigne NOZ étant un magasin de déstockage.
Sans grande surprise, et sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la Cour décide d’écarter l’argument des différences de clientèle, affirmant même que les deux magasins « attirent un public susceptible de fréquenter l’une ou l’autre des boutiques sans choix prédéterminé s’agissant de jouets communs ».
La Cour affirme qu’en commercialisant les jouets litigieux dans ce packaging, la société FUTURA FINANCES a souhaité entretenir la confusion entre les jouets commercialisés par les enseignes NOZ et ceux commercialisés par les enseignes JouéClub.
La Cour a également eu à statuer sur une demande en parasitisme de EPSE assez complexe puisque ce n’est pas cette société qui a payé l’agence BEING. Néanmoins, au regard du devis adressé à EPSE, la Cour considère qu’« elle est donc à l’origine et conceptrice de l’imagerie de marque qui a permis la conception du packaging contrefait ».
5. Les dédommagements
La Cour prend le soin d’expliciter la marge commerciale réalisée par SIDJ (3 euros) pour conclure : « la société SIDJ subit un préjudice du fait du manque à gagner équivalent à la vente de 21.360 produits. La perte de marge s’évalue à 64.000 euros arrondis (21 360 X3). » La somme est réduite à 60 000 euros car «il n’est cependant pas certain que tous les clients potentiels de NOZ se seraient dirigés vers les magasins JouéClub pour acheter la tour. »
La société EPSE, au soutien de son argumentation quant à son préjudice moral, invoquait l’utilisation de sa marque par les enseignes NOZ « dans un contexte de déstockage et de discount ne garantissant pas ses standards de sérieux et de qualité promus par la marque CAP LOISIRS ». Pour la Cour d’Appel de Rennes, les consommateurs pourraient imaginer « que le produit TOUR INFERNALE est offert à moindre prix ou en grande quantité en raison de son insuccès ou des difficultés de son diffuseur originel. Ce contexte atteint la réputation du groupe JouéClub et mérite indemnisation du préjudice moral de la société EPSE. »
Néanmoins, la Cour d’appel de Rennes va considérer qu’il s‘agit d’un jouet banal (briques en bois) pour minorer les dommages et intérêts liés au préjudice moral demandé par la société EPSE, Elle confirme le jugement qui avait évalué ce préjudice à 50 000 euros.
Cet arrêt donne un exemple atypique d’œuvres pouvant être protégées par le droit d’auteur, en admettant cette protection du packaging « original relevant d’un véritable effort créateur » d’un jouet. Il sera intéressant de voir si la jurisprudence reste constante à ce sujet, le caractère original et créatif des emballages pouvant être difficile à prouver, on peut imaginer qu’il soit traité au cas par cas.
Charlotte GALICHET
Charlotte SZELAG