Parasitisme et concurrence déloyale : par un arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation a jugé que la reprise des descriptifs techniques des produits d’un concurrent portant sur des produits similaires, induisait nécessairement un préjudice moral pour le parasité et que la violation des règles du Code de commerce en matière de liquidation constituait un acte de concurrence déloyale.


Rappel des faits et de la procédure

La société CCP a pour activité principale la vente de saunas et de spas, uniquement via son site internet www.sauna-bien-être.com.

Pour chaque produit proposé à la vente, la société CCP ajoute sur son site, à côté de la description technique du produit, un rédactionnel intitulé « l’avis du spécialiste » décrivant le produit dans des termes choisis et mettant en valeur ses qualités et ses spécificités.

La société MV immatriculée le 17 juillet 2015, éditait un site internet www.abri-jardin.eu proposant à la vente les mêmes saunas d’extérieur et reprenant mot pour mot les descriptions techniques du site internet de la société CCP.

Le 17 février 2016, après avoir découvert l’existence du site internet www.abri-jardin.eu, la société CCP a mis la société MV en demeure de cesser ces actes qu’elle qualifiait de concurrence déloyale, demandait le retrait immédiat des descriptifs et des textes imitant « l’avis du spécialiste » ainsi qu’une indemnisation de ses préjudices.

Par courrier en réponse du même jour, la société MV indiquait avoir racheté le site internet à une société placée en liquidation judiciaire et n’avoir pas procédé aux vérifications qui s’imposaient mais s’engageait à faire toutes les modifications nécessaires. Il s’avérera que la société en liquidation et la nouvelle société avait pourtant le même associé.

Le 24 février 2016, la société CCP, indiquait avoir constaté la suppression des indications de « l’avis du spécialiste » mais relevait que les descriptifs techniques n’avaient en revanche pas été modifiés. 

Par ailleurs, elle déplorait l’absence de proposition indemnitaire de la part de la société MV.

Estimant que la société MV n’avait que partiellement cessé ses agissements fautifs, la société CCP l’a attraite devant le Tribunal de Commerce de Nanterre en parasitisme et concurrence déloyale.

Le 11 octobre 2018, la Cour d’appel de Versailles a jugé que « la société par actions simplifiée MV n’a commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de la société par actions simplifiée CCP par copie servile ou par violation des règles applicables en matière de procédures collectives.». [1]

La société CCP a alors formé un pourvoi en cassation (Cass. civ. Chambre commerciale, 17 mars 2021, 19-10.414).

Les hauts magistrats ont dû répondre à la question de savoir si la société MV avait ou non réalisé des actes de concurrence déloyale par la copie servile des présentations des descriptifs techniques des saunas (1) et/ou par la violation des règles applicables relatives à l’exercice d’une activité commerciale, limitant les possibilités de reprise d’une société en liquidation judiciaire (2).

  1. La concurrence déloyale par copie servile des descriptifs de la société CCP

Bref rappel des notions de concurrence déloyale et de parasitisme

Rappelons que le parasitisme repose sur le fait de tirer profit des investissements d’un tiers, de se placer dans le sillage d’un tiers afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Cass. Com 10 juillet 2018, n°16-23.694).

Rappelons également que bien que distincte, l’action en parasitisme se fonde sur les mêmes articles du Code civil, que l’action en concurrence déloyale.[2]

En effet, les actions en concurrence déloyale et/ou en parasitisme sont fondées sur les articles 1240 et 1241 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. ».

Ces actions relevant de la responsabilité civile délictuelle, une action judiciaire fondée sur ces terrains implique la réunion de trois conditions, à savoir une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice, dont la charge de la preuve incombe au demandeur à une telle action.

Il est à noter que le parasitisme a pour fondement la responsabilité civile délictuelle, tout comme la concurrence déloyale, mais n’est pas soumis aux mêmes critères d’application.

En effet, le parasitisme se fonde sur l’appréciation des investissements réalisés par l’entreprise parasitée, ainsi que le profit tiré des efforts et des investissement de son concurrent.

Dans l’arrêt commenté, les investissements réalisés par la société CCP et la faute commise par la société MV n’étaient pas remis en cause. Toute la problématique résidait dans la caractérisation du préjudice résultant de la faute commise par la société MV à savoir la reprise exacte des descriptifs techniques rédigés par la société CCP, se rapportant à des produits identiques.

Les demandes de la société CCP

La société CCPfaisait valoir que si les descriptifs « avis du spécialiste » avaient été supprimés à sa demande, il n’en avait pas été de même des descriptifs techniques qui étaient encore présents sur le site internet de la société MV.

De ce fait, selon la société CCP, la société MV avait clairement entendu profiter des descriptifs qu’elle avait élaborés avec soin dans le but de promouvoir ses propres produits et avait dès lors, porté atteinte à un avantage concurrentiel dont elle disposait, la société MV ayant pu bénéficier sans aucun effort financier, d’un catalogue comportant des rédactionnels de qualité́ sur son site Internet.

La société CCP estimait que les actes déloyaux lui avaient nécessairement occasionné un trouble commercial important générant un préjudice « fût-il seulement moral » dont elle était en droit d’obtenir l’indemnisation.

La société CCP invoquait également un autre type de préjudice lié au référencement Google :

elle prétendait que le moteur de recherche Google via son système de référencement déclassait les sites dont le contenu n’était pas original. La société CCP avait perdu plusieurs places dans les pages de résultat. La société MV avait donc par son atteinte plagiaire porté atteinte à son référencement et au développement de son audience et donc à ses ventes.

Par ailleurs, la société CCP soulignait que la société MV avait repris ses actifs et avait altèré nécessairement et non symboliquement son image aux yeux des internautes.

En ce sens, elle estimait qu’outre le préjudice moral « même en l’absence d’une perte ou d’un détournement de clientèle, l’existence d’un acte de concurrence déloyale ouvre droit à la réparation des préjudices constitués par les atteintes à des éléments attractifs de clientèle ou à la capacité de concurrence de la victime ».

La société CCP chiffrait son préjudice à 20 000 euros.

Position de la Cour d’appel

La Cour d’appel n’a pas accueilli les demandes de la société CCP estimant que tout préjudice en matière de concurrence déloyale se caractérise généralement par une perte de clientèle ou par une perte de chiffre d’affaires imputable au parasite ».

La Cour d’appel avait relevé que la société CCP se bornait à se prévaloir d’une similitude de descriptifs techniques se rapportant à des produits identiques, sans avoir démontré et étayé de manière précise, concrète et tangible, l’existence d’un lien de causalité entre l’attitude parasitaire imputée à la société MV et le préjudice corrélatif dont elle se prévalait et soulignait que la prétention « au demeurant non établie dans les circonstances de cette espèce, d’une perte de référencement sur Google », ne saurait suffire en elle-même.

Pourtant, la société CCP avait également invoqué le préjudice moral et le préjudice d’image.

La Cour d’appel avait par ailleurs précisé que la société MV avait retiré certains textes litigieux dès réception de la mise en demeure adressée par la société CCP et que, l’utilisation pendant moins de deux mois des descriptifs n’avait pu porter préjudice à la société CCP, ce que confirmait la société MV qui prétendait qu’elle n’avait réalisé aucune vente depuis la mise en demeure.

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation ne s’est pas rangée à l’avis de la Cour d’appel et a rappelé que :

« Le parasitisme économique consistant à s’immiscer dans le sillage d’autrui afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, de tels actes, même limités dans le temps ».

Il est à noter que la jurisprudence n’a pas toujours été constante s’agissant de la preuve de l’existence d’un préjudice. Selon une conception classique reposant sur le droit commun de la responsabilité civile, il a pu être exigé à l’égard du demandeur à l’action de rapporter la preuve de l’existence d’un préjudice (par exemple une perte prouvée du chiffre d’affaires).

Cependant, un courant jurisprudentiel a considéré qu’en matière de concurrence déloyale, le préjudice devait être présumé du fait de l’acte déloyal commis, lequel génère un trouble commercial causant nécessairement un préjudice (Cass. com., 27 mai 2008, n° 07-14442 ; Cass. com., 28 sept. 2010, n° 09-69272 ; Cass. 1re civ., 21 mars 2018, n° 17-14582 ; Cass. com., 12 févr. 2020, no 17-31614).

En ce sens la décision de la Cour de cassation ne parait pas surprenante et semble s’inscrire dans une continuité jurisprudentielle, laquelle considère que, dès lors que la preuve d’une faute est rapportée, il en résulte nécessairement un préjudice pour le parasité, à savoir un préjudice moral.

Ainsi, la reprise par la société MV du catalogue de son concurrent, des descriptifs techniques portant sur des produits similaires, induisait nécessairement un préjudice moral causé à la

société CCP, et ce, bien que cette dernière n’ait pas perdu de clientèle ou de chiffre d’affaires.

2.La violation des règles limitant les possibilités de reprise d’une société en liquidation judiciaire

La Cour de cassation a également statué sur la question de savoir si un opérateur économique se dispensant de respecter certaines règles imposée dans l’exercice de son activité commerciale commettait un acte de concurrence déloyale vis-à-vis de ses concurrents.

Les demandes de la société CCP

L’associé de la société MV était également ancien dirigeant et actionnaire majoritaire de la société́ REVONSBOIS placée en liquidation judiciaire à qui la société MV avait racheté son site internet. Or l’article L.642-3 alinéa premier du Code de commerce dispose :

« Ni le débiteur, au titre de l’un quelconque de ses patrimoines, ni les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire, ni les parents ou alliés jusqu’au deuxième degré inclusivement de ces dirigeants ou du débiteur personne physique, ni les personnes ayant ou ayant eu la qualité de contrôleur au cours de la procédure ne sont admis, directement ou par personne interposée, à présenter une offre (…) ».

Or, visiblement, l’ancien éditeur du site incriminé était devenu le repreneur.

La société CCP estimait que cette violation du Code de commerce avait permis au dirigeant de la société REVONSBOIS, de reprendre et de poursuivre son activité concurrente à la sienne au mépris des règles applicables et que cette circonstance caractérisait une situation de concurrence déloyale à l’instar de celle par laquelle des personnes exercent une activité commerciale au mépris d’une interdiction.

La société CCP soutenait à ce titre, que la situation résultant de la violation de l’article L.642-3 du Code de commerce lui avait nécessairement causé un préjudice en ce que la société MV, concurrent direct vendant les mêmes produits qu’elle, se maintenait sur le marché en violation des règles des procédures collectives, après une liquidation dont le passif atteignait 200 000 euros.

A ce titre, la société CCP demandait la condamnation in solidum de la société MV et de son associé à hauteur de 30 000 euros.

Position de la Cour d’appel

La Cour d’appel a considéré que la non-opposition par le ministère public dans le cadre de la reprise, justifiait l’absence de nullité de la cession des actifs de la société REVONSBOIS à la société MV.

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation a considéré au contraire que constituait « un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur ». 

Rappelons que la jurisprudence a déjà eu à se prononcer sur le fait que le non-respect de certaines obligations légales induit un comportement déloyal vis-à-vis des autres sociétés qui les respectent. A ce titre que, il a pu être retenu antérieurement que, l’absence de mentions légales sur un site internet sans restriction d’accès est constitutif d’un acte de concurrence déloyal (Ord. référé, TGI Paris, 21 novembre 2017) car contraire aux dispositions de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004[3].

En l’espèce, du fait de l’acquisition illicite du site internet par la société MV, celle-ci avait été placée dans une position anormalement favorable, puisque l’ancien associé avait pu poursuivre son action tout en effaçant ses dettes.

En conséquence, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 11 octobre 2018 et a remis l’affaire entre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt les renvoyant devant la Cour d’appel de Versailles autrement composée.

En application de l’article 700 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a condamné la société MV et son associé à payer à la société CCP une somme globale de 3 000 euros.

Ainsi, l’arrêt commenté semble s’inscrire dans une continuité jurisprudentielle ce à plusieurs égards.

En premier lieu, il est rappelé qu’en matière de parasitisme, le demandeur n’a pas besoin de démontrer une perte de son chiffre d’affaires ou une perte de clientèle pour voir prospérer son action.  Le préjudice est présumé du fait de la réalisation d’un tel acte.

En second lieu, il est acté qu’une entreprise ne respectant pas les obligations légales qui lui incombent est susceptible d’être condamnée pour concurrence déloyale, et ce du fait de la position anormalement favorable tirée de cette violation.

Charlotte GALICHET

Amelle SALKA


[1] Cour d’appel de Versailles, 11 octobre 2018, n° 17/03759

[2]Le parasitisme et la concurrence déloyale : quelques explications à la lumière de l’arrêt Dyson c/ Hoover (C.A Versailles 20 octobre 2020, n°18/08637). https://avocatspi.com/2020/12/09/le-parasitisme-et-la-concurrence-deloyale-quelques-explications-a-la-lumiere-de-larret-dyson-c-hoover-c-a-versailles-20-octobre-2020-n1808637/

[3] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164/#:~:text=Le%20fait%2C%20pour%20toute%20personne,15%20000%20Euros%20d’amende.

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