Le 25 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt sur la question assez débattue de la cession de droits d’auteur au bénéfice de l’employeur dans le cadre d’un contrat de travail. Entre le principe de la nullité de la cession globale des œuvres futures et la sécurisation de l’exploitation des œuvres créées par les salariés de l’entreprise, les juges ont opté pour une décision au bénéfice de l’employeur, sous-entendant la bonne foi dont doivent faire preuve les créateurs, surtout lorsqu’ils sont associés de la société.
En l’espèce, une créatrice artistique a conclu un contrat de travail avec une société (sa société) ayant pour objet le développement de ses collections d’articles de mode.
Ce contrat comportait une clause de cession de droits à titre exclusif au bénéfice de la société : « de l’ensemble de ses droits de propriété intellectuelle relatifs aux créations réalisées dans le cadre dudit contrat, au fur et à mesure de leur réalisation ».
La créatrice a également réalisé des créations dans le cadre de contrats de cobranding avec des entreprises tierces, et a réclamé des rémunérations complémentaires correspondant à la perception de ses droits d’auteur. Selon elle, ces prestations ne rentraient pas dans le cadre de son contrat de travail. Elle contestait par ailleurs la validité de la clause de cession des droits de PI du contrat.
La société a refusé, et fait valoir que les prestations avaient été réalisées par la créatrice en exécution de son contrat de travail, et que ses droits d’auteur avaient été valablement cédés à la société.
En 2019, la 3ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté la créatrice de ses demandes. Cette dernière a interjeté appel, mais la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision du TGI par un arrêt du 25 janvier 2023 (1). La Cour considère d’abord que les créations ont bel et bien été réalisées dans le cadre du contrat de travail malgré l’existence d’autres contrats avec des entreprises tierces (I), et constate ensuite la validité de la clause de cession de droits au profit de l’employeur (II).
I. Analyse du statut des créations en fonction du contexte et des partenariats noués par la marque
Le premier point que la Cour a dû trancher fut la question de savoir si les prestations réalisées par la créatrice pour des entreprises tierces rentraient ou non dans le cadre de son contrat de travail.
En effet, la société avait signé plusieurs contrats de cobranding avec de grandes entreprises telles que Lancôme, Uniqlo, ou encore Dyptique en vue de l’exploitation par celles-ci des créations de sa Directrice artistique.
D’après l’article L111-1 du Code de la Propriété intellectuelle, l’existence d’un contrat de travail ne change rien à la titularité des droits qui reviennent automatiquement à l’auteur, sauf clause contraire.
Or, en l’espèce, le contrat de travail signé entre la créatrice et la société comprend une clause de cession de ses droits au bénéfice de la société. Celle-ci concerne l’ensemble des droits de propriété intellectuelle (droits de reproduction et de représentation, à l’exclusion de ceux d’adaptation) « relatifs aux créations réalisées dans le cadre du présent contrat, au fur et à mesure de leur réalisation ». La créatrice a donc cédé ses droits patrimoniaux à la société sur ses créations réalisées dans le cadre du contrat. Or, l’appelante soutenait que les créations dont elle réclamait les droits avaient été réalisées dans le cadre de contrats externes (avec des entreprises tierces), et non dans le cadre du contrat de travail, ce qui les exclurait de la clause de cession à l’employeur.
Tout d’abord, les juges relèvent que les contrats de collaboration ont pour partie au contrat la société employeur, et non la créatrice, et que les commandes visent explicitement la société. De plus, la créatrice est désignée, dans ces contrats de cobranding, en sa qualité de directrice artistique, ce qui confirme qu’elle intervient dans le cadre de sa relation de travail avec la société à qui elle a cédé ses droits.
Les juges utilisent par la suite d’autres éléments afin de conclure à la réalisation des créations dans le cadre du contrat de travail. En effet, le contrat stipulait également que la créatrice s’engageait à « consacrer tout son temps de travail et tous ses efforts au profit exclusif de la société OLT et ne peut exercer une activité professionnelle pendant la durée du présent contrat, sauf accord préalable exprès et écrit du président de la société OLT, dans la limite de 50% de son temps ». Toutefois, la Cour relève que l’appelante n’est pas en mesure de prouver l’existence d’un tel accord pour les prestations fournies aux entreprises tierces.
Par ailleurs, la Cour d’Appel s’appuie une clause du contrat qui stipule que « l’employeur exercera les droits, objets de la cession, soit directement, soit par le biais de cessions à des tiers ». De ce fait, le contrat de travail indique clairement, pour la Cour, que la société pouvait conclure des contrats avec des entreprises tierces en vue de l’exploitation des créations.
II. Un assouplissement de l’interdiction de la cession globale des œuvres futures
L’article L131-1 du Code de la Propriété intellectuelle dispose que « la cession globale des œuvres futures est nulle ». A ce titre, l’appelante contestait la validité de la clause de cession de son contrat de travail qui stipulait que :
« Madame [A] [H] cède à titre exclusif à l’Employeur l’ensemble les des (sic) droits de propriété intellectuelle (droits de reproduction et de représentation ‘ à l’exclusion de ceux et (sic) d’adaptation) ‘ relatifs aux créations réalisées dans le cadre du présent contrat, au fur et à mesure de leur réalisation.
La présente cession concerne l’ensemble des œuvres protégées à quelque titre que ce soit par le Code de la propriété intellectuelle réalisées par Madame [A] [H] dans le cadre du présent contrat. »
Pour l’appelante, cette clause opère une cession globale des œuvres futures. Pourtant, la Cour considère que la clause n’est pas nulle dès lors qu’elle « délimite le champ de la cession à des œuvres déterminées et individualisables à savoir celles réalisées par la salariée dans le cadre du contrat de travail et au fur et à mesure que les œuvres ont été réalisées ». En se limitant aux œuvres réalisées dans le cadre du contrat de travail, la cession ne serait pas globale, car limitée par un cadre, et ne concernerait pas les œuvres futures, car le contrat désigne celles réalisées « au fur et à mesure ».
Pourtant, cette position des juges reste discutable. Ils considèrent en effet ici que des œuvres qui n’existent pas encore au moment de la signature du contrat, ne sont pas des œuvres futures. Mais alors que signifie « œuvres futures », si cela ne comprend pas les œuvres non encore réalisées ? Pour le juriste Henri Desbois, il est par exemple clair que la « cession globale des œuvres futures s’entend de la cession de tout ou partie des droits patrimoniaux portant sur plus d’une œuvre non encore créée au moment du contrat » (H. Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd., Dalloz, 1978, n° 537 bis).
La clause semble par ailleurs tout de même très générale. Que signifie globale si la désignation d’un ensemble d’œuvres créées dans une période indéterminée n’est pas globale ? Les juges de la Cour d’appel ont ici choisi de considérer que la limitation aux œuvres créées dans le cadre du contrat de travail suffisait à identifier des œuvres déterminées et individualisables. Cette position tient certainement au fait que le contrat laissait la possibilité à la directrice artistique de créer pour des tiers (dans un maximum de 50% de son temps) et avec l’autorisation de la société. Le fait que les œuvres soient limitées à celles créées dans le cadre du contrat de travail (à l’exclusion de celles qu’elle avait le droit de créer en dehors) semble être l’argument qui a conquis les juges, en limitant à la fois la cession dans le temps (puisque la cession intervient le jour de la création), et à un ensemble d’œuvres restreint (au contrat de travail). Cette décision semble montrer une volonté des juges d’alléger les contraintes des employeurs, en leur permettant notamment d’exploiter les œuvres de leurs salariés de manière plus facile et sécurisée.
L’appelante dénonçait également l’absence de contrepartie financière de la cession de ses droits d’auteur. Pour la Cour, une « rémunération forfaitaire n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d’auteur est licite ». Les juges ont ici choisi d’admettre le principe du forfait, utilisé en principe uniquement à titre d’exception (article L131-4 du Code de la Propriété intellectuelle) lorsque la rémunération proportionnelle n’est pas possible. Par cette décision, les juges admettent la possibilité de fixer un montant unique couvrant à la fois la prestation de travail, mais aussi la cession des droits. Là encore, cette position est certainement due au contexte, puisque la créatrice percevait par ailleurs une rémunération variable et des dividendes en tant qu’associée.
Cette conception restrictive de la cession globale des œuvres futures restreint la protection des auteurs, et semble ainsi aller à l’encontre de l’esprit du Code de la Propriété intellectuelle qui cherche à protéger les auteurs des cessionnaires. Finalement, les juges ont voulu faciliter les cessions du créateur salarié à son employeur en considérant que le contrat de travail offre une sécurité et un encadrement suffisants pour le salarié.
Charlotte Galichet
Pauline Leyval
1.Cour d’appel de Paris – Pôle 5, Chambre 1 – 25 janvier 2023 – n°19/15256