Contrefaçon de bijoux et vente en ligne : quelques précisions du Tribunal judiciaire de Lyon- jugement du 2 février 2021

Originalité, évaluation du préjudice, bonne ou mauvaise foi, c’est sur ces différents points que le Tribunal judiciaire de Lyon s’est prononcé par un jugement du 2 février 2021[1].

Rappelons que, le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur ne se confondent pas : le droit des dessins et modèles protège l’apparence d’un produit ou d’une partie de celui-ci, tandis que le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit originales.  Mais dans les deux cas, toute utilisation ou reproduction non autorisée est susceptible de constituer des actes de contrefaçon.

Des actes de contrefaçon peuvent aussi induire la réalisation d’autres fautes, notamment des actes de concurrence déloyale ou une atteinte au droit à l’image.

Rappel des faits et de la procédure

La créatrice de deux modèles de bracelets a enregistré ces derniers le 18 juillet 2011 à l’institut national de la propriété intellectuelle (INPI).

La société FQP Network commercialisait sur internet des bracelets identiques ou similaires aux créations enregistrés auprès de l’INPI en utilisant les photographies de la créatrice des bijoux.

Par acte du 7 mars 2016, cette société a été attraite devant le tribunal de grande instance de Lyon en contrefaçon et en concurrence déloyale.

La créatrice faisait notamment valoir que la société FQP Network avait commis des actes de contrefaçon de ses modèles de bijoux et de ses photographies, une atteinte à son droit à l’image et des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Il convient de souligner que la créatrice n’avait réalisé aucune démarche amiable avant d’intenter son action. La société FQP Network avait alors conclut au rejet de ses demandes de ce chef. Cependant, les juges ont rappelé que « l’absence de démarche amiable ne constitue pas une fin de non-recevoir ou un motif de rejet de la demande au fond. ».

I- Les actes de contrefaçon

A. La contrefaçon des modèles déposés

Conformément à l’article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle « Sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, le transbordement, l’utilisation, ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle. ».

La société FQP Network demandant l’annulation des modèles pour défaut d’originalité, les juges ont rappelé que « l’originalité d’une œuvre de l’esprit conditionne exclusivement l’accès à la protection sur le terrain du droit d’auteur », cette notion n’étant pas pertinente en matière de dessins et modèles déposés.

La société FQP Network a ensuite et plus logiquement tenté de contester la nouveauté des modèles. Sur ce point, le Tribunal indique : « S’agissant de la nouveauté, il revient à la société défenderesse qui la conteste de prouver l’existence d’une antériorité. Or, les pièces produites ne sont pas datées ou postérieures au 18 juillet 2011, de telle sorte qu’elles ne permettent pas de conclure que le modèle n’était pas nouveau à la date de son dépôt. »

En l’espèce, les juges ont relevé que la société FQP Network avait commercialisé sur différents sites internet des bijoux similaires à ceux de la créatrice mais également des bijoux qui différaient suffisamment « pour qu’ils produisent sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente ».

Ainsi, les juges ont uniquement retenu des actes de contrefaçon s’agissant des modèles commercialisés par la société FQP Network présentant des similitudes telles qu’il n’était pas possible de les différencier avec les modèles de la créatrice, l’impression visuelle d’ensemble étant identique.

Pour ce qui concerne la réparation du préjudice, la créatrice avait choisi de fonder sa prétention sur l’article L. 521-7 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, qui prévoit : « Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

Les juges ont rappelé que l’octroi d’une telle indemnisation implique de « déterminer le montant de la redevance qui aurait pu être négociée si les parties s’étaient rapprochées et de le majorer, le contrefacteur s’étant abstenu de solliciter une autorisation d’exploitation pourtant requise ».

En l’espèce, la créatrice avait sollicité cette indemnisation mais n’avait pas justifié le montant des « redevances négociées auquel elle aurait pu prétendre ». Cependant, les juges ont relevé que bien que la créatrice ne justifie pas de ces montants « il n’est pas contestable qu’elle aurait pu monnayer l’utilisation de ses modèles. La contrefaçon l’ayant privée d’une telle opportunité, le préjudice économique est réel. ».

Ainsi, les juges ont sanctionné la société FQP Network par l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros en réparation du préjudice patrimonial de la créatrice et 2000 euros en réparation du préjudice moral.

Outre l’allocation de dommages et intérêts, une mesure d’interdiction a été prononcé par les juges mais le Tribunal n’a pas estimé nécessaire d’ordonner la destruction éventuelle d’un stock des produits contrefaisants qui serait encore en possession de la société FQP Network.

B. La contrefaçon de droits d’auteur

  1. La reproduction des bracelets

Rappelons qu’une œuvre est protégeable du seul fait de sa création conformément à l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle[2] et ce,  indépendamment de toute divulgation publique du seul fait de sa conception conformément à l’article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle[3].

Néanmoins, les juges ont relevé que, la créatrice n’avait pas démontré les caractéristiques originales des bracelets, le critère d’originalité étant indispensable pour conférer une protection au titre du droit d’auteur : « Madame X. se contente d’affirmer que les bracelets portent l’empreinte de sa personnalité et qu’ils sont donc protégeables au titre du droit d’auteur (conclusions, p. 27). Une telle affirmation ne constitue pas une démonstration; alors qu ‘il revient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur d’identifier, en présence d’une contestation, les caractéristiques originales de l’oeuvre. A défaut d’une telle démonstration, Madame X. sera déboutée de ses prétentions formulées au titre du droit d’auteur. ».

De ce seul fait, les demandes en contrefaçon ont été rejetées.

2. La reproduction des photographies des bracelets

La créatrice revendiquait également un droit d’auteur sur les photographies des bracelets présentées sur son site internet «  www.myloani.com ».

La titularité des droits et le caractère original des photographies n’ont pas été appréciés par les juges et pour cause, la société FQP Network ne contestait pas la protection revendiquée au titre du droit d’auteur.

En revanche, et classiquement, elle arguait de sa bonne foi, indiquant que les photographies avaient été exploitées de bonne foi car elles lui avaient été transmises par son fournisseur, et qu’elle ne pouvait vérifier si ces photographies appartenaient à des tiers alors qu’elle commercialisait « une multitude de références ».

Cependant, les juges ont estimé que les arguments avancés par la société FQP Network étaient indifférents à la caractérisation de la contrefaçon.

Atteinte aux droits patrimoniaux :

En vertu de l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ».

Concernant son préjudice, la créatrice faisait valoir que si la société FQP Network lui avait fait une offre, elle aurait fixé le prix de ces licences de droits d’auteur durant la période d’exploitation de ses œuvres à la somme de « 435 euros par mois pour les deux bracelets et les photographies, soit 10 000 euros pour la période du 1 septembre 2015 au 31 juillet 2017 ».

Néanmoins, les juges ont relevé que rien ne permettait de considérer que la créatrice aurait véritablement exigé un tel montant. Du fait de ces considérations, les juges ont accordé à la créatrice « la somme de 10 euros par photographie et par mois sur 23 mois » soit 460 euros.

Atteinte au droit moral :

Rappelons que, conformément à l’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. ».

L’article L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle ajoute « L’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ».

En l’espèce, la société FQP Network avait reproduit et modifié les photographies de la créatrice sur son site internet. A ce titre, les juges ont considéré qu’il s’agissait d’une violation du respect de son nom et que du fait de la modification des photographies « le droit au respect de son œuvre n’a pas été assuré. ».

Ainsi, l’atteinte aux droits moraux est caractérisée justifiant l’allocation de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de la créatrice.

II- L’atteinte au droit à l’image de la créatrice

Conformément à l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. A ce titre « Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée(…) ».

En l’espèce, les photographies utilisées par la société FQP Network reproduisaient la moitié du visage de la créatrice, ses mains et avant-bras, alors que celle-ci n’y avait pas consenti.

Ainsi, les juges ont caractérisé l’atteinte au droit à l’image de la créatrice, et ont alloué à cette dernière la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices matériels et moraux.

III- La concurrence déloyale

Les juges ont rappelé que la concurrence déloyale repose sur les articles 1240 et 1241 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

Par ailleurs, les juges ont énoncé qu’en présence d’une condamnation en contrefaçon « la demande en concurrence déloyale formée par la personne au bénéfice de laquelle une telle condamnation a été prononcée ne peut être accueillie qu’à la condition de s’appuyer sur des faits distincts de ceux qualifiés de contrefaisants. ».

Trois conditions doivent être réunies pour engager la responsabilité civile d’un concurrent : tout d’abord, une faute distincte, constituant l’acte de déloyauté, qui peut prendre plusieurs formes : elle peut engendrer une confusion dans l’esprit du consommateur, entrainer une désorganisation ou constituer un dénigrement de la société. Ensuite, cette faute doit entrainer un préjudice réel, et enfin le lien de causalité entre la faute et le préjudice doit être avéré. [4]

En l’espèce, la créatrice avait soutenu que son réseau de distribution était désorganisé, mais sans en apporter la preuve.

Dans un premier temps, les juges ont relevé que la mise en vente de bijoux par la société FQP Network à des prix inférieurs à ceux pratiqués par la créatrice relevait du libre jeu de la concurrence, puis ont estimé : « Toutefois l’utilisation de photographies appartenant à la demanderesse pour faire la promotion de produits identiques engendre un risque de confusion auprès de la clientèle. La société défenderesse a également bénéficié des efforts et investissements nécessairement consentis par Madame X. pour réaliser ses créations et en assurer la promotion. Les actes de concurrence déloyale se trouvent donc établis. »

A ce titre, les juges ont sanctionné la société FQP Network au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Outre l’allocation de dommages et intérêts, les juges ont ordonné la publication du dispositif du jugement pour une durée d’un mois sur le site internet « bluepearls.fr ». En revanche, les juges ont écarté la demande de la créatrice portant sur la publication du jugement dans trois journaux ou magazines.

Notons que la société FQP Network avait formulé une demande reconventionnelle en concurrence déloyale et parasitaire du fait que le site de vente de la créatrice ne comportait aucune mention légale, mais le Tribunal a conclu que « quand bien même Madame X. aurait commis différentes violations de la loi, elle ne saurait avoir capté la clientèle de la société FQP Network, dès lors que cette clientèle n’était justement pas la sienne pour être intéressée par des créations sur lesquelles la défenderesse ne disposait d’aucun droit. »

Ainsi cet arrêt permet de constater que selon l’objet de la protection, le droit d’auteur ou le droit des dessins et modèles peut être invoqué pour constater des actes de contrefaçon, de manière cumulative. Ce sont donc des régimes distincts poursuivant une finalité similaire, celle de sanctionner une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

Cet arrêt illustre également le fait que la réalisation de ces actes en ligne peut induire d’autres comportements répréhensibles permettant d’actionner différents mécanismes : la contrefaçon de photos, la concurrence déloyale ou encore l’atteinte au droit à l’image.

Charlotte GALICHET

Amelle SALKA


[1]Tribunal judiciaire de Lyon, ch. 3 – cab 03C, jugement du 2 février 2021. https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-judiciaire-de-lyon-ch-3-cab-03c-jugement-du-2-fevrier-2021/

[2]« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »

[3]« L’oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur.»

[4] Article « Le parasitisme et la concurrence déloyale : quelques explications à la lumière de l’arrêt Dyson c/ Hoover (C.A Versailles 20 octobre 2020, n°18/08637) ».  https://avocatspi.com/2020/12/09/le-parasitisme-et-la-concurrence-deloyale-quelques-explications-a-la-lumiere-de-larret-dyson-c-hoover-c-a-versailles-20-octobre-2020-n1808637/

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