Décision LIDL c. INTERMARCHE, Cour d’Appel Paris, 21 octobre 2020 n°18/2532

« N’importe quelle publicité est une bonne publicité » disait Andy Warhol. Si dans le milieu du marketing, cette citation peut être vraie, dans le domaine juridique, il n’est pas possible d’en dire autant. Les publicités pour être considérées comme « bonnes » doivent respecter un certain nombre de conditions et ce d’autant plus lorsqu’elles tentent de s’inspirer de celles de leurs concurrents.

En l’espèce, la société LIDL a lancé une campagne de publicité comparative intitulée « Deux « J’aime! » qui comparait 20 produits de marques nationales diverses par rapport à des produits LIDL. Cette publicité devait illustrer l’idée selon laquelle les produits LIDL étaient moins chers, ce qui était soulignait par le slogan « Deux « J’aime! » mais pas au même prix ».

La société ITM Alimentaire International qui est chargée de la stratégie commerciale pour le groupe des Mousquetaires et notamment d’Intermarché avait répondu à la publicité LIDL par une campagne sur trois produits : le café, la confiture et le sirop de grenadine. Le slogan choisi visait directement LIDL car il indiquait « Quand LIDL fait tester ses produits par des comédiens, chez Intermarché c’est vous qui testez. »

La société LIDL a mis en demeure ITM de cesser la diffusion de ces publicités puis a assigné la société devant le Tribunal de commerce de Paris.

Le Tribunal de commerce, par jugement du 10 septembre 2018, a considéré que les publicités diffusées par ITM étaient dénigrantes, trompeuses et parasitaires pour LIDL et qu’elles constituaient ainsi des actes de concurrence déloyale préjudiciables.

La société ITM a interjeté appel de cette décision s’agissant de la qualification de publicités trompeuses et dénigrantes et afin de considérer que les publicités réalisées par LIDL initialement, étaient elles aussi préjudiciables. L’affaire portée devant la Cour d’Appel de Paris présentait ainsi deux parties accusant chacune l’autre de concurrence déloyale.

La Cour d’appel a condamné, le 21 octobre 2020, la société LIDL à payer 50 000 euros à la société ITM en réparation du préjudice subi du fait de la publicité comparative illicite « deux « J’aime! » (1). Mais elle a aussi condamné la société ITM à payer à la société LIDL 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de vidéos publicitaires dénigrantes et trompeuses (2).

 

  1. Les publicités de LIDL

La campagne comparative lancée par LIDL opposait 20 produits de la marque LIDL à des marques nationales afin de mettre en évidence les prix bas proposés par LIDL.

Rappelons qu’une publicité comparative a pour objectif de mettre en comparaison « des biens ou services identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent. » (articles L.122-1 à L.122-7 du Code la consommation). Plusieurs conditions sont posées pour que la publicité soit licite : elle doit notamment comparer des produits ayant le même objectif, elle doit être exacte et ne pas induire en erreur et enfin elle doit aussi être objective.

Cette notion d’objectivité sous-entend que les informations doivent être pertinentes, représentatives et vérifiables. A contrario, une information subjective repose sur l’appréciation personnelle de l’individu.

Les premiers juges avaient considérés que les publicités étaient des publicités comparatives sur les prix.

Néanmoins, la Cour d’Appel de Paris a considéré que le mot « j’aime » sous-entendait également une comparaison sur le goût :

« La comparaison porte non seulement sur le prix des deux produits qui sont affichés, mais aussi sur leur goût, chacun des deux produits dégustés donnant lieu à un ‘J’aime’. ITM soutient justement que la publicité de LIDL est trompeuse pour le consommateur en ce qu’elle induit une équivalence de goût des produits LIDL par rapport aux produits de marques nationales, visant à convaincre le consommateur d’acheter moins cher des produits qu’il aime tout autant.»

Sur la notion d’objectivité, la Cour note que « le gout comme critère de comparaison des produits constitue en effet un élément subjectif invérifiable par le consommateur. Cette appréciation subjective exclut toute comparaison objective ».

C’est sur cette problématique de la subjectivité que la Cour considère la publicité comparative réalisée par LIDL est illicite.

Il est intéressant de noter que la validation de la publicité par l’ARPP est sans incidence sur la licéité de la publicité comparative selon la Cour.

Pour apprécier le préjudice et ainsi le montant des dommages et intérêts, la Cour s’est attardée sur l’étendue et la valeur de cette campagne publicitaire notant qu’elle avait donné lieu à « 49.258 messages télévisés, radiophoniques et print » et qu’elle avait couté au moins une dizaine de millions d’euros. Dès lors, la Cour a estimé le préjudice à 50.000 euros.

 

  1. Les publicités d’ITM

La société ITM en réponse à la campagne de LIDL avait produit des spots publicitaires parodiques reprenant la mise en scène des publicités LIDL en jouant sur les ressemblances à la fois sur le thème (les comparaisons), mais aussi sur les acteurs (style et habillement) et le décor. L’acteur de cette publicité prononçait sur des intonations différentes le terme « j’aime » jusqu’à l’intervention d’un homme qui permettait de comprendre qu’il s’agissait d’un réalisateur imposant à son acteur « de faire preuve de conviction dans son affirmation ». Le spot s’achevait par la mention « quand LIDL fait tester ses produits par des comédiens, chez Intermarché c’est vous qui testez ».

La société LIDL considérait que ces spots étaient dénigrants, trompeurs et constitutifs de parasitisme. Pour la Cour, si la liberté d’expression est un « droit fondamental qui inclut les mesures publicitaires, encore convient-il qu’il s’agisse d’une communication non dénigrante, légitime et proportionnée des produits ou services de son concurrent ».

Le dénigrement et la tromperie

Les actes de dénigrement relèvent de l’article 1240 du Code civil et sont caractérisés si les actes « portent le discrédit sur les produits ou service d’un concurrent ».

La Cour juge : « Mais en dépit de leur forme humoristique, les spots publicitaires diffusés par ITM, qui reprennent en la parodiant la publicité LIDL dont le logo est reproduit, ternissent l’image des produits de la marque en laissant penser aux consommateurs que ceux-ci ne sont pas aussi bons que ceux des marques nationales. Ce faisant, ITM jette publiquement le discrédit sur les produits de son concurrent, peu important que la diffusion ait été limitée dans l’espace et dans le temps. Elle contrevient ainsi aux pratiques commerciales loyales. » La Cour conclut ainsi « les sports publicitaires d’ITM constituent un dénigrement que ni l’illicéité de la campagne menée par LIDL, ni l’exception de parodie ne peuvent justifier ».

LIDL avançait également le caractère trompeur de ces publicités qui laissaient penser que les comparaisons effectuées par LIDL ne se fondaient pas sur les avis des consommateurs mais sur l’avis de comédiens. ITM n’avait apporté aucune preuve pour étayer ses dires, alors même que LIDL avait produit aux débats des preuves des études qu’elle avait menées auprès des consommateurs l’année précédente.

L’article L.121-2 du Code de consommation prévoit qu’une « pratique commerciale est trompeuse dès lors qu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induit en erreur » et ce, notamment, lorsqu’elle porte sur « les caractéristiques essentielles du bien ou service ».

ITM aurait donc dû, avant d’assigner, mettre en demeure LIDL de lui communiquer les preuves des tests consommateurs réalisés.

Ainsi, les vidéos d’ITM constituent des pratiques commerciales trompeuses « en ce qu’elles prétendent que LIL ne s’appuierait pas sur des tests consommateurs ».

La Cour a donc considéré, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, que ces publicités étaient illicites et qu’elles constituaient des actes de concurrence déloyale à l’égard de la société LIDL.

Le parasitisme

LIDL soutenait que cette campagne publicitaire constituait un acte de parasitisme sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. ITM répondait qu’il s’agissait d’une publicité humoristique visant simplement à jouer sur le procédé utilisé par LIDL dans sa publicité comparative. Il s’agissait aussi d’une réponse et d’une défense pour tenter de démontrer que la comparaison faite par LIDL ne s’appuyait sur aucun élément objectif.

LIDL considérait qu’ITM avait simplement profité de son idée de comparaison avec des produits de marques nationales ainsi que de l’investissement et de l’impact de ces publicités. La société ITM, selon LIDL, s’était sciemment placée dans son sillage, elle avait repris « ses publicités, a récupéré l’idée innovante de la comparaison avec les marques nationales, profitant de l’impact de sa campagne pour mettre en avant sa propre marque distributeur sans investir ni supporter les risques de ce genre d’opérations ». Il ne pouvait s’agir selon LIDL d’une simple parodie malgré le caractère humoristique de ces publicités.

La Cour d’Appel a rejeté le parasitisme en raison du caractère parodique de ces publicités « en parodiant la campagne dans le but de mettre en évidence le mécanisme purement subjectif d’une comparaison des produits sur un mode burlesque en mettant l’accent sur le jeu des comédiens, ITM n’a pas cherché à s’approprier indûment le bénéfice de cette publicité. ».

La Cour, pour refuser le parasitisme a aussi noté « la très faible ampleur de la communication » exploitée sur seulement 13 jours.

A l’issu de ce jugement, chacune des parties se trouvent ainsi condamnées pour des actes de concurrence déloyale, l’une pour publicité comparative illicite et l’autre pour publicité dénigrante et trompeuse. Cette décision permet de constater que la publicité comparative reste un sujet délicat, tant dans sa mise en œuvre, que dans l’anticipation des réactions des concurrents.

 

Charlotte GALICHET

Marie CHARBON

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