L’article 85 2. du RGPD précise que « dans le cadre du traitement réalisé à des fins journalistiques ou à des fins d’expression universitaire, artistique ou littéraire, les États membres prévoient des exemptions ou des dérogations au chapitre II (principes), au chapitre III (droits de la personne concernée), au chapitre IV (responsable du traitement et sous-traitant), au chapitre V (transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou à des organisations internationales), au chapitre VI (autorités de contrôle indépendantes), au chapitre VII (coopération et cohérence) et au chapitre IX (situations particulières de traitement) si celles-ci sont nécessaires pour concilier le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté d’expression et d’information ».
Selon le considérant 153, cette exception devrait couvrir « les traitements de données à caractère personnel dans le domaine de l’audiovisuel et dans les documents d’archives d’actualités et bibliothèques de la presse».
Rappelons qu’une donnée à caractère personnel est : « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée «personne concernée»); est réputée être une «personne physique identifiable» une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » (article 4 du RGPD). En conséquence, sont notamment des données personnelles : les noms et prénoms des personnes, l’image, la voix, etc.
De sorte qu’une œuvre littéraire ou artistique présente nécessairement des données à caractère personnel : un film pourra représenter l’image des personnes, leur voix, mais également leur noms et prénoms ou pseudonymes au moment des crédits au générique.
Un ouvrage biographique pourra présenter des noms, prénoms, des données sensibles[1], des dates de naissance, des informations professionnelles ou familiales etc.
On notera également que le RGPD ne fait pas référence à la notion d’« œuvres » ou de « propriété littéraire et artistique », mais bien aux expressions littéraires et artistiques. De sorte que cette exception englobe selon nous, tout forme d’art, sans prise en compte du critère de l’originalité imposé par le Code de la propriété intellectuelle.
Dans notre ordonnancement interne, la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, modifiée le 27 juillet 2019, vient préciser les exemptions prévues en matière, notamment, d’expression littéraire et artistique.
La loi liste en son article 80 un certain nombre de dispositions qui n’ont pas à être nécessairement respectées dans le cadre des traitements réalisés à des fins d’expression artistique ou littéraire.
Ainsi n’ont pas vocation à s’appliquer les dispositions relatives à :
- L’obligation de déterminer des durées de conservation ;
- L’interdiction des traitements de données sensibles ;
- L’interdiction des traitements des données d’infractions et des condamnations pénales ;
- Certains droits : le droit à l’information, le droit d’accès, le droit de rectification, le droit à la limitation. On notera que le droit à l’effacement n’est pas visé. Néanmoins, l’article 17 3. du RGPD précise que le droit à l’effacement ne s’applique pas à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information. Cette exception ne concerne donc pas forcément les œuvres de fiction. Pour en savoir plus sur le droit à l’oubli http://avocatspi.com/2018/06/08/le-droit-a-loubli-nest-pas-un-droit-absolu/
- L’obligation d’encadrer les transferts de données en dehors de l’Union européenne. Ainsi, il sera tout à fait possible de transférer une œuvre audiovisuelle, par exemple aux USA, sans encadrer ce transfert de mécanismes juridiques spécifiques.
On notera également que toutes les autres dispositions non citées par l’article 80 de la Loi devront par conséquent être respectées par les responsables de traitement (licéité du traitement, collecte pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, principe de minimisation des données etc.).
L’article 80 de la Loi informatique et libertés précise par ailleurs : « Les dispositions des alinéas précédents ne font pas obstacle à l’application des dispositions du code civil, des lois relatives à la presse écrite ou audiovisuelle et du code pénal, qui prévoient les conditions d’exercice du droit de réponse et qui préviennent, limitent, réparent et, le cas échéant, répriment les atteintes à la vie privée et à la réputation des personnes. »
Les actions sur le fondement de l’atteinte à la vie privée (article 9 du code civil) sont naturellement toujours possibles.
Charlotte GALICHET
Sophie RENAUDIN
[1] Une donnée sensible est une donnée qui qui révèle l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique (article 9 du RGPD)