Intelligence artificielle et création autonome

Entre le 23 et le 25 octobre prochain, un portrait d’une nature particulière sera mis aux enchères au sein de la prestigieuse salle des ventes newyorkaise Christie’s.

Ce portrait est en effet particulier en ce qu’il a été conçu par une intelligence artificielle.

Bien que le tableau semble avoir été peint, aucun pigment n’a été utilisé. Les seules composantes du portrait sont les pixels.

Ce portrait, nommé « Portrait d’Edmond de Belamy » est le résultat d’une formule algébrique associant deux algorithmes.  Un premier créant de nouvelles images à partir de 15 000 œuvres peintes entre le XIVème et le XXème siècle. Un second, qui tente, quant à lui, de reconnaitre si les images proposées par le premier existent déjà ou si elles ont déjà été générées par un algorithme.

Cette œuvre n’est pas la première à avoir été entièrement créée par une intelligence artificielle.

Par exemple, en 2017, un album de musique pop a été entièrement composé et produit par une intelligence artificielle.

D’autres projets à base d’intelligence artificielle ont vu le jour, comme le projet Jukedeck qui permet de générer des morceaux de musique via un algorithme. Il suffit que l’utilisateur règle certains paramètres : durée du morceau, style musical, instrument, rythme, pour que le logiciel génère une musique téléchargeable.

Ces créations « 3.0 » amènent à se questionner sur l’existence et la titularité des droits d’auteur sur ce type de créations d’un nouveau genre.

1. Les limites du droit d’auteur actuel quant à la reconnaissance d’un droit d’auteur robotique

Un robot peut-il se voir attribuer la qualité d’auteur ?

Aujourd’hui, la création par intelligence artificielle tend à se désolidariser de l’auteur personne physique. Plutôt qu’outil de la création, le robot devient créateur lui-même réalisant des « créations autonomes ».

Les intelligences artificielles ont donc une activité créatrice à deux niveaux :

  • Soit l’œuvre est réalisée par assistance robotique ;
  • Soit l’œuvre est réalisée par le robot seul.

Dans le premier cas l’auteur, personne physique, demeure maître de sa création et n’utilise l’intelligence artificielle que comme assistant pour sa création, la titularité des droits reste donc attribuée à la personne physique.

Dans le second cas, notre droit positif considère que le robot, en tant que créateur de l’œuvre, ne peut pas bénéficier de la protection de son œuvre au titre du droit d’auteur.

En effet, au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, seule une personne physique peut être auteur (civ. 1ère, 15 janvier 2015 n°13-23566).

La raison est simple. Le critère de la protection au titre du droit d’auteur d’une œuvre est l’originalité. Or, l’originalité est l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Comme le précisait la Cour de Justice de l’Union européenne dans son arrêt Infopaq du 16 juillet 2009, l’originalité d’une œuvre va de pair avec « une création intellectuelle propre à son auteur ».

En France, les décisions sont rares. Cependant, deux décisions méritent d’être remarquées.

Dans une décision du 5 juillet 2000, le Tribunal de Grande Instance de Paris a précisé que « la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine, (…) conduit à la création d’œuvres originales et comme telles protégeables quelle que soit l’appréciation qui peut être portée sur leur qualité » (TGI Paris, 1re ch., 5 juill. 2000 : Comm. com. électr. 2001, comm. 23, obs. C. Caron).

Dans un arrêt du 31 janvier 2005, la Cour d’Appel de Bordeaux a pour sa part précisé qu’une œuvre musicale « même créée à partir d’un système informatique, à condition qu’elle laisse apparaître même de façon minime l’originalité qu’a voulu apporter son concepteur » peut être protégée par le droit d’auteur (CA Bordeaux, 31 janv. 2005, Sté Michel Saunier c/ Sté Atevi : Comm. com. électr. 2006, chron. 3, obs. X. Daverat).

Prises a contrario, ces décisions nous apprennent qu’en l’absence de toute intervention humaine, même minime, l’œuvre créée ne saurait être protégée par le droit d’auteur.

Ainsi, selon la conception française et européenne, seule une personne physique peut être auteur d’une œuvre de l’esprit et sans intervention humaine, l’œuvre n’est pas protégeable par le droit d’auteur.

Il existe donc un vide juridique conséquent en la matière puisque refuser la protection au titre du droit d’auteur aux œuvres robotiques autonomes revient à dire que toute œuvre entièrement créée par une intelligence artificielle est libre de droit, et donc insusceptible d’être couverte par un monopole d’exploitation.

Par ailleurs, et plus généralement, la jurisprudence française rappelle bien souvent que seule une entité dotée de la personnalité juridique (morale ou physique) peut se voir reconnaitre la titularité des droits d’auteur (Civ. 1ère, 15 novembre 2010, n°09-66160). Or, tel ne saurait être le cas des robots qui, pour le moment, sont soumis au régime juridique des biens.

Par conséquent, ce qui fait obstacle à une reconnaissance du « robot-auteur » est bien la vision personnaliste du droit français et européen en matière de droit d’auteur.

2. Droit comparé

Dans les Etats situés en dehors de l’Union européenne, la question du droit d’auteur robotique fait également débat.

Aux Etats Unis, le bureau national du droit d’auteur a déclaré que seules des œuvres originales créées par un être humain pourraient prétendre à une protection par le droit d’auteur.  Cette position découle de la jurisprudence américaine (affaire Feist Publications c. Rural Telephone Service Company, Inc. 499 U.S. 340 (1991)) aux termes de laquelle le droit d’auteur protège uniquement le fruit d’un travail intellectuel fondé sur le pouvoir créateur de l’esprit.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la justice américaine a refusé de reconnaitre au singe Naruto, auteur du célèbre selfie, un quelconque droit d’auteur sur sa photographie.

En Australie, un tribunal a déclaré qu’une œuvre créée au moyen d’un ordinateur ne pouvait faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur car elle n’avait pas été réalisée par un humain (Acohs Pty Ltd c. Ucorp Pty Ltd).

Certains Etats privilégient la thèse selon laquelle il convient d’attribuer la paternité de l’œuvre au programmeur de l’intelligence artificielle. C’est le cas par exemple au Royaume Uni, en Inde, en Irlande ou encore en Nouvelle-Zélande.

Ainsi en Angleterre, il est précisé à l’alinéa 9.3) de la loi sur le droit d’auteur, les dessins et modèles et les brevets que : “dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique créée au moyen d’un ordinateur, la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour créer ladite œuvre sera réputée en être l’auteur.”

3. Pistes de réflexion sur une refonte du droit d’auteur pour les robots

Dans la mesure où le droit positif actuel ne permet pas d’octroyer aux créations robotiques une protection par le droit d’auteur, il est aujourd’hui essentiel, devant l’accroissement de ce type d’œuvre, de réformer notre conception du droit d’auteur.

C’est la raison pour laquelle les instance européennes et nationales se sont saisies de la question.

Mais alors qui doit se voir reconnaître la qualité d’auteur ?

Est-ce l’inventeur de l’intelligence artificielle ? Cette hypothèse peut être compliquée à mettre en œuvre dans la mesure où la plupart du temps cette intelligence artificielle est mise aux services d’autres personnes ou sociétés et que son inventeur peut s’en trouver matériellement dépossédé.

Est-ce l’utilisateur de l’intelligence artificielle qui, dans le cas des créations autonomes se contente la plupart du temps d’appuyer sur un bouton, sans aucun effort créateur ?

Une autre solution serait de façonner un droit sui generis propre à cette problématique. Tel que le droit des producteurs de bases de données, le droit sui generis des robots pourrait venir récompenser les efforts de la « personne qui prend l’initiative et le risque d’investissement ».

Il ne s’agira donc pas d’un droit d’auteur au sens traditionaliste du terme mais plutôt d’un droit « satellite de la création ».

D’autres encore penchent pour l’attribution d’une personnalité juridique spécifique aux robots. Ainsi, un groupe de travail sur la robotique et l’intelligence artificielle a présenté le 27 janvier 2017 un rapport au Parlement européen selon lequel  il conviendrait de penser à « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables de réparer tout dommage causé à un tiers; il serait envisageable de considérer comme une personne électronique tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers ».

Attribuer une personnalité juridique aux robots pourrait les rendre candidats à la titularité des droits d’auteur. Mais si l’on pousse ce raisonnement, cette attribution pourrait également les rendre candidats à des poursuites judiciaires en cas de copie de l’œuvre d’un tiers.

Se poserait néanmoins quelques questions essentielles tenant notamment au fait que les robots n’ont pas de patrimoine propre pour payer ou se faire verser des dommages et intérêts…

Quoiqu’il en soit, les instances européennes se sont aujourd’hui emparées de cette question et ne manqueront pas de légiférer en la matière. Choisira-t-on le modèle anglais ? Optera-t-on pour un droit spécifique aux créations robotiques autonomes ? Une personnalité juridique propre aux robots ? Seul l’avenir pourra répondre à cette question mais il ne fait aucun doute que le sujet continuera à nourrir les passions.

Sophie RENAUDIN

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