Deux arrêts de la Cour d’Appel de Paris du 2 novembre 2022 ont refusé de faire droit aux demandes de la société ADIDAS sur le fondement de sa célèbre marque à trois bandes. Est-ce que seules les marques connues, comme Isabel Marant ou Sandro pourront désormais utiliser cette ornementation ?
Episode 1 : ADIDAS c/ ISABEL MARANT : jugement du Tribunal judiciaire de Paris (3ème chambre, 3ème section) du 4 septembre 2020
ISABEL MARANT a commercialisé des vêtements de sport comportant, le long des manches, ou des jambes, deux bandes parallèles. La société de droit allemand ADIDAS AG étant titulaire de plusieurs marques représentant les célèbres 3 bandes, a demandé aux sociétés ISABEL MARANT de cesser la commercialisation de ces produits, ce qu’elle a refusé.
Devant les juges de première instance, ADIDAS tentait de justifier la contrefaçon en affirmant que les bandes avaient été apposées et alignées de la même manière que les trois bandes de ses marques, à savoir : des bandes verticales, parallèles, contrastantes, de même longueur ou de longueur à peine différente, de même largeur et apposées sur le côté du vêtement le long de la manche ou de la jambe.
Le Tribunal a comparé la marque et les visuels figurants sur les vêtements et a conclu à des similitudes « moyennes, voir faibles ».
La notoriété des marques ADIDAS, une fois n’est pas coutume, conduit les juges à considérer que : « Loin d’accentuer le risque de confusion, la grande notoriété des marques revendiquées comme étant les « marques aux trois bandes » réduit au contraire un tel risque de confusion avec des vêtements comportant seulement deux bandes, a fortiori lorsque celles-ci sont d’aspect différent en raison de leur largeur, de leur espacement ou de leur matière. » Le public ne saurait être trompé entre un vêtement à 2 bandes et un vêtement à 3 bandes.
Mais sur le fondement de l’atteinte aux marques renommées, les juges vont au contraire retenir que « la particulière renommée des marques « aux trois bandes » de la société ADIDAS AG et leur forte distinctivité, de même de l’identité des produits – à savoir des vêtements – et l’émergence du sportswear dans les collections de marques de luxe conduit à ce qu’un lien soit nécessairement établi entre les produits des sociétés IM PRODUCTION et ISABEL MARANT DIFFUSION et les marques de renommée de la société ADIDAS AG. »
Les sociétés ISABEL MARANT ont donc porté atteinte à la renommée des marques « aux trois bandes » ainsi qu’à leur pouvoir distinctif et sont condamnées à cesser la vente des produits et à verser 100.000 euros à ADIDAS à titre de dommages et intérêts et 10.000 euros d’article 700. Le Tribunal les condamne même à faire rappeler les produits des circuits commerciaux dans toute l’Union Européenne !!
Episode 2 : ADIDAS c/ Sandro : jugement du Tribunal judiciaire de Paris (3ème chambre, 2ème section) du 9 octobre 2020
Devant les juges de première instance, ADIDAS a tenté de justifier la contrefaçon en arguant que les bandes apposées sur les vêtements de SANDRO avaient une disposition similaire à celle des trois bandes de ses marques : des bandes verticales, parallèles, courant le long des jambes du pantalon. ADIDAS a également produit une enquête auprès des consommateurs qui, selon elle, démontrait un risque de confusion, une majorité des répondants ayant associé les pantalons SANDRO à sa marque emblématique. Le Tribunal a rejeté l’enquête produite par ADIDAS, jugeant les questions biaisées et orientées.
Le Tribunal a comparé la marque déposée par ADIDAS et les bandes visibles sur les pantalons SANDRO et a conclu que les similitudes étaient « exclusivement visuelles et de degré moyen ». Il a rappelé que la marque aux trois bandes d’ADIDAS est enregistrée en noir et blanc, et que la protection ne s’étend pas à toutes les combinaisons de couleurs. Les pantalons SANDRO comportaient deux bandes rose clair sur fond noir, une combinaison différente de celle utilisée par ADIDAS. Ainsi, le Tribunal a jugé que « les différences de couleur et de largeur des bandes réduisaient le risque de confusion pour le consommateur. »
Concernant la renommée de la marque ADIDAS, le Tribunal a souligné que cette notoriété n’était pas suffisante pour conclure à une contrefaçon. En effet, il a estimé que le public pouvait percevoir les bandes des pantalons SANDRO comme un élément décoratif inspiré des uniformes militaires, « sans les assimiler à une indication d’origine liée à la marque ADIDAS». Le Tribunal a également relevé que les exemples de pantalons à bandes présents sur le marché renforçaient cette perception décorative. Sur le fondement de l’atteinte aux marques renommées, le Tribunal a considéré qu’ADIDAS n’avait pas apporté la preuve suffisante d’un lien établi dans l’esprit du public entre les produits SANDRO et la marque ADIDAS. Il a jugé que la présence de deux bandes sur les pantalons SANDRO ne constituait pas une exploitation injustifiée de la renommée de la marque aux trois bandes, et qu’il n’y avait « ni profit indu, ni dilution, ni modification du comportement économique du consommateur. »
Le Tribunal a débouté ADIDAS de toutes ses demandes en contrefaçon et atteinte à la renommée. De plus, il a rejeté les accusations de concurrence déloyale formulées par ADIDAS France, estimant que SANDRO n’avait pas agi de manière fautive.
Le jugement a condamné les sociétés ADIDAS AG et ADIDAS France à verser 35 000 euros à SANDRO au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Ainsi, contrairement à d’autres affaires similaires, le Tribunal n’a pas retenu la contrefaçon de la marque ADIDAS par SANDRO, reconnaissant le caractère purement décoratif des bandes sur les vêtements de marque SANDRO.
Episode 3 : Cour d’Appel de Paris du 2 novembre 2022 : confirmation de la décision ADIDAS c/ Sandro
Le 18 décembre 2020, Adidas a interjeté appel demandant l’infirmation du jugement rendu le 9 octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de Paris dans l’affaire SANDRO.
Cependant, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, en reprenant le même argumentaire et rappelant que « malgré l’identité des produits en cause, et nonobstant la distinctivité et la notoriété élevée de la marque revendiquée, le consommateur concerné, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, ne pourra attribuer aux signes en cause la même origine. »
Les différences visuelles dans l’espacement et la largeur des bandes ont été jugées suffisantes pour écarter tout risque de confusion, d’autant plus que « pour les saisons 2017-2018 les pantalons à bandes latérales étaient une tendance de la mode », des marques telles que Burberry, Dolce & Gabbana et Givenchy proposant des produits similaires.
La Cour a donc conclu que Sandro s’inscrivait dans cette tendance sans chercher à « se placer dans le sillage de la marque Adidas pour tirer indûment profit de sa renommée ». Enfin, elle a relevé qu’aucun élément ne permettait d’établir une modification du comportement économique du public pertinent ni même un risque sérieux que cette modification survienne, justifiant ainsi la confirmation du jugement initial et la condamnation d’ADIDAS à payer 20 000 euros à Sandro au titre des frais de procédure d’appel.
Episode 4: Cour d’Appel de Paris du 2 novembre 2022 : infirmation partielle de la décision ISABEL MARANT
Les sociétés ISABEL MARANT condamnées en 1ere instance ont fait appel de la décision et ont obtenu la réformation du jugement.
Sur la comparaison des signes en présence, la Cour considère que les similitudes visuelles sont plutôt faibles, mais rappelle que le risque d’association dans l’esprit du public est « d’autant plus élevé que les marques antérieures possèdent un caractère distinctif important, soit intrinsèquement, soit en raison de leur connaissance par une partie significative du public concerné par les produits en cause. » La Cour d’Appel n’est donc pas d’accord avec le fait que la forte notoriété des 3 bandes réduit le risque de confusion vis-à-vis d’un vêtement à 2 bandes.
En appel, les sociétés ISABEL MARANT sont parvenues à démontrer que le jogging à bandes était une tendance de la mode importante de 2016 à 2018, ce qui a conduit la Cour à juger qu’il n’y avait pas de risque de confusion : « Le caractère ornemental du motif incriminé placé sur les vêtements litigieux conformément à une tendance de la mode des années 2016/2018, allié à la similitude plutôt faible entre les signes en présence, créant pour le consommateur visé une perception distincte de celle que le public associe aux marques à trois bandes revendiquées, caractérisées par trois bandes fines équidistantes, exclut tout risque de confusion ou même d’association, nonobstant la distinctivité et la notoriété élevée des marques ADIDAS, le public concerné ne pouvant percevoir le signe décoratif incriminé, formé de deux larges bandes, comme provenant du titulaire des marques à trois fines bandes équidistantes, ni d’une entreprise économiquement liée, le consommateur ne pouvant dès lors se méprendre sur l’origine des produits concernés. »
Pour la Cour, il n’est pas démontré qu’ISABEL MARANT qui « bénéficie de son propre pouvoir d’attraction », se soit placée dans le sillage des marques de renommée de la société ADIDAS AG afin de bénéficier indûment de leur pouvoir d’attraction et de leur prestige. Le préjudice porté au caractère distinctif des marques ADIDAS n’est pas davantage retenu car « aucun préjudice ou risque de préjudice n’est susceptible de résulter de l’utilisation des signes litigieux sur des vêtements sous marque ISABEL MARANT » et « le risque de dégradation ou de ternissement allégué pour des produits commercialisés sous les trois marques de renommée ADIDAS » est « exclu compte tenu du positionnement haut de gamme de la marque ISABEL MARANT »
La société ADIDAS est condamnée à 40.000 euros d’article 700.
La société ADIDAS s’est pourvue en Cassation mais la Cour de Cassation a considéré que les moyens de cassation n’étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation et a condamné ADIDAS à 3000 euros d’article 700.
Conclusion
Les juges cherchent désormais à établir un équilibre entre la protection des marques notoires et la préservation d’une concurrence équitable sur le marché. Ces décisions soulignent également une limite à la protection monopolistique des marques réputées face à d’autres griffes de renom, lorsqu’il s’agit de marques figuratives.
Charlotte GALICHET
Laetitia YAMMINE