Hypermarché Cora : décision intéressante sur le référencement, la communication d’échantillons, la propriété intellectuelle et la concurrence déloyale

Dans un arrêt du 21 mai 2019, la Cour d’appel de Rennes a condamné la société CORA pour actes de parasitisme et de concurrence déloyale à l’encontre de la société OXYGEN.

Les faits : la société OXYGEN est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de modèles de chaussures.  En 2004, la société OXYGEN s’est rapprochée de la société CORA pour faire référencer dans ses magasins, certains modèles de sabots.

Elle a alors, pour ce faire, communiqué à la société CORA, des exemplaires de ses produits ainsi que les tarifs proposés pour la vente de ces derniers.

Par courrier électronique du mois de mai 2004, la société CORA a informé la société OXYGEN de ce qu’aucun de ses produits n’avaient été retenus pour une commercialisation dans ses magasins.

Pourtant, quelque temps plus tard, la société OXYGEN, ayant constaté la mise en vente par la société CORA, dans ses magasins, d’un modèle de sabot reprenant les caractéristiques de son propre modèle, a assigné cette dernière sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale devant le Tribunal de Grande Instance de Rennes.

Le Tribunal ayant reconnu la contrefaçon des droits d’auteur de la société OXYGEN, la société CORA a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel de Rennes. Cette dernière, contrairement à ce qui avait été décidé en première instance va débouter la société OXYGEN de ses demandes sur le terrain du droit d’auteur (I), mais fera droit à ses demandes sur le terrain de la concurrence déloyale et parasitaire (II).

La condamnation n’est pourtant que de 30.000 euros.

  1. Le débouté des demandes de la société OXYGEN sur le fondement du droit d’auteur

Le sabot revendiqué présentait des rayures multicolores sur fond noir et un intérieur rose.

Non seulement la société OXYGEN n’identifiait pas précisément l’œuvre sur laquelle elle revendiquait une protection au titre du droit d’auteur (elle oscillait tantôt entre un modèle de sabot, tantôt sur un article dont l’intérieur était rose, et tantôt sur la protection du motif ornemental extérieur), mais qui plus est, elle n’est pas parvenue à démontrer l’originalité de son œuvre.

Or, tel que le rappelle la Cour dans son arrêt, il incombe à celui qui agit en contrefaçon de droits d’auteur d’identifier précisément son œuvre, et plus particulièrement, les caractéristiques qui constituent son originalité et, partant, d’établir que l’œuvre remplit les conditions requises pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur.
Concernant le motif, la société OXYGEN ne parvint pas à définir le nuancier de couleurs revendiqué, dans la mesure où les couleurs variaient selon les modèles présentés à la Cour, de sorte qu’aucune chaussure n’était strictement identique en termes de coloris.

Par ailleurs, le motif revendiqué était banal. Ce dernier était caractérisé par des bandes horizontales de couleurs, chacune séparées par des bandes de couleurs noires. Or, et tel que le relève la Cour, ce type de motif est couramment utilisé pour des modèles de chaussures (la marque Little Marcel est citée à 2 reprises).

Selon la Cour, le seul fait d’associer, selon cette disposition banale, des bandes de couleurs selon un ordre déterminé ne suffit pas à identifier et à caractériser une œuvre originale reflétant la personnalité de son auteur.

La société OXYGEN a par conséquent été déboutée de ses demandes fondées sur la propriété intellectuelle.

  1. La condamnation de la société CORA sur le fondement du parasitisme et de la concurrence déloyale

Faute de pouvoir revendiquer une protection au titre du droit d’auteur sur ses modèles de sabots, la société OXYGEN a pu agir, en se fondant sur les mêmes faits que ceux invoqués au titre de la contrefaçon, sur le terrain de la concurrence déloyale et parasitaire.

La société OXYGEN reprochait à la société Cora d’avoir commis des actes de parasitisme en s’immisçant dans son sillage, en usurpant les divers investissements réalisés dans la formation commerciale de ses employés pour la sélection et la détermination de modèles adaptés à la clientèle d’un prospect, et en reproduisant le motif phare de sa collection.
La Cour admet l’importance du modèle de la société OXYGEN dans sa gamme et constate que la vente des imitations est établie, voir reconnue par CORA.

Pour tenter de se dédouaner de toute responsabilité, la société CORA a argué devant la Cour du fait que les couleurs des bandes imprimées sur ses chaussures étaient différentes des bandes de couleurs apposées sur les chaussures de la société OXYGEN. Ainsi, à la place d’une couleur jaune vif, la société CORA avait choisi une couleur jaune orangé. A la place d’un rose pâle, la société CORA utilisait un rose framboise etc.

Néanmoins, les juges ont relevé que ces modifications de couleur n’avaient pas pour effet d’altérer la perception d’ensemble du motif. Ces légères modifications n’étant détectables qu’à l’issue d’une comparaison attentive entre les produits, ce qui échapperait nécessairement au consommateur, quand bien même serait-il attentif.

La Cour relève que le choix de copier ce modèle précisément ne pouvait pas être un choix anodin puisque la société CORA avait refusé préalablement le référencement de ce modèle.

La société Cora a sélectionné l’article qui lui paraissait le plus intéressant et le plus vendeur pour compléter la gamme de huit sabots de jardin qu’elle avait elle-même constituée, « faisant ainsi l’économie des coûts de développement, de marketing et de commercialisation exposés par la société Oxygen qui employait des salariés designers pour concevoir ses produits et avait développé des stratégies commerciales destinées à susciter l’intérêt du consommateur pour des produits de cette nature, détournés de leur fonction première, et à intensifier l’effet de mode dont ils bénéficiaient ».

Ainsi, le fait pour la société CORA d’avoir détourné le sabot que lui avait présenté la société OXYGEN, dans le but d’en effectuer une copie suffisamment fidèle pour ne pas permettre au public de les distinguer entre eux, de commercialiser cette copie dans un réseau de distribution similaire à ceux visés par la société OXYGEN, pendant la même période de commercialisation, sur un même secteur géographique et, ajoute la Cour, « pour rendre son produit attractif auprès de leur clientèle commune, ce qui lui permettait de le proposer à la vente à un prix moindre » constitue un acte de parasitisme.

Le montant de la condamnation (30.000 euros) peut paraitre faible au regard du nombre de points de vente CORA en France et du procédé déloyal mis en œuvre mais est compréhensible au regard de la banalité des rayures multicolores.

 

Charlotte GALICHET

Sophie RENAUDIN

 

NB : Point procédural intéressant :

La demande d’annulation des procès-verbaux des deux constats d’achat effectués sous le contrôle d’un huissier, formée par la société Cora le 27 février 2019, dans ses troisièmes conclusions devant la cour d’appel, « alors qu’elle avait déjà conclu sur le fond à plusieurs reprises tant devant le tribunal que devant la cour est irrecevable. »

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